L’inachevé de la joie – 22

Au refus global nous opposons la responsabilité entière
Manifeste du refus global

Séquence 22
Tadoussac, Baie de Tadoussac, Québec
48.135580164736815, -69.71666229927519

À l’autre rive
Celle de la mort
On a passé déjà
Après la traversée légère
De l’oiseau contre le vent
Il se pose et déjà je respire
Avec le salin de l’air
En regardant le Saguenay
Se fondre au fleuve

***

Assoiffé des signes du vivant.

	Sur les pierres de la rive, striées de rainures, à Tadoussac, pour moi, et peut-être pour tous ces touristes, la même soif de capter un seul mouvement des vivants, hors de nos vies, dans nos mondes mécaniques et rectangulaires, apercevoir l’essor d’un dos lisse de baleine, son corps sculpté (défini) par l’eau, en courbes, son souffle qui délivre de nos suffocations, de nos pauvres respirations dans l’air que nous contaminons de nos déjections.

****

Extrait d'un poème de Joseph Brodsky

(..)
Souviens-toi bien :
Il n’y a que l’eau, et elle seule
qui toujours et partout reste fidèle
à elle-même, insensible aux métamorphoses, lisse,
là-bas où il n’y a plus de terre ferme.
Et tout le pathétique de la vie, son début,
son milieu, son calendrier qui s’effeuille, sa fin
et s’évanouit
en ridules éternelles, légères, incolores. 

***

Cette volonté d’être avec eux, malgré que nous détruisons en même temps leur quiétude,  puisque nous imaginons qu’ils sont proches de nous, qu’ils sont nos frères et sœurs, qu’ils se parlent avec un langage, que nous ne comprenons pas certes, mais ils parlent avec un langage sauvage que nous ne comprendrons peut-être jamais, ne serait que parce que nous provoquons leur extinction.

***

Ce littoral où nous voyons nos frères et sœurs s’ébattre, épouser la forme de l’eau, nous démontrer la force de la vie dans leur souffle si puissant et leur respiration mortelle.

Comment le littoral appelle les vivants, les convoque, il nous semble, à nos regards, à nos désirs de partager un seul instant leurs vies.

***

Partir pour Tadoussac
Sur les pierres grises si anciennes 
Attendre leur retour
Enivrés de la joie des abondances
Capelans et krills
Au versant du Saguenay
Assemblée de chants heureux
Le long des berges d’homoncules

***

Sens de Tadoussac :
Mamelles
Tadaoskw
Tsheshagui

***

Elles se demandent qui elles sont pour eux
Et n’ont de réponse que le bruit des hélices
Ces humains qui les recherchent du regard
Ont perdu le sens de leur vie

Dans ce foisonnement d’écumes et de dos
Oui le souffle jaillit mot pour dire Adieu
Mais un cri pourrait dire l’apaisement des retrouvailles
Au confluent des eaux nous sommes vivants

***

Où les eaux se jettent dans les eaux
Nous laissons la sauvagerie des paroles liquides
S’ébattre pour la piéger dans nos regards
Nos voix étanches de la pierre 
Pour le dos luisant qui plonge en nous

Vous ne vivez pas ici

Voici vos bateaux de fer leur moteur de meurtre
Ils sont en nous ces meurtres
Nous ne les oublions pas
Même si votre regard n’a plus la soif du sang 

***

Ils errent dans leur joie
Les humains veulent les voir surgir
Où ils ne vont plus
Dans l’écoulement magnifique de leur vie

***

Soif sauvage d’une autre vie
De ce promontoire jusqu’à la rive de la Gaspésie.
Moteurs en marche regards alertes.

Débordant de l’horizon 
Leur clameur en souffle sans nous

Le vent, le soleil, l’eau et  les nuages
Condensés en un seul geste 
Qui montre notre folie
Suspends nos pensées et notre respiration
À Tadoussac entre la pierre et l'océan

***

La neige tombe doucement en avril
Elle s’accroche au chaos des arbres
Qui est l’ordre du monde
Où je dois être
Qui est aussi ailleurs
Au bord du salin à Tadoussac ou à St-Félicité
Là où m’appelle le vivant
Au plus près possible de ma peau et de mes cils
Dans ma langue et ma poitrine
En chaque lieu tombant 
Hors de la beauté d’une neige de printemps
Bélugas blancs sur le rivage yeux clos

***

D’où vient que la vue de l’eau nous apaise et appelle notre regard, à ses changements, aux vibrations répercutées, aux vivants qui pourraient apparaître à sa surface? D’où vient cette joie du vivant que l’eau recèle, enregistre?

À son horizon la peau de l’eau n’est-elle pas l’espoir de ce surgissement primitif de la vie. Le langage primitif de l’apparition qui affirme notre vie avec les vivants. Ceux qui disparaissent de notre mode d’existence, nous imaginons que de l’eau ils pourraient surgir à nouveau.

L’eau nous appelle constamment de ses sons, de ses couleurs, de ses images ( et l’air, qu’elle laisse glisser sur elle, en vents parfois si puissants). Elle semble vouloir nous prendre pour nous amener ailleurs ( en ses vagues et vents). 

Cet ailleurs imaginé où la vie surgit indéfiniment, sans interruption, pour notre plus grand étonnement, notre plus grand bonheur.

***

Aujourd’hui, je rends grâce à l’aube d’apparaitre. Au monde, de cette aube, qui s’achève maintenant.

***
Au seuil, où les eaux se rencontrent, fécondant ces vies de la remontée des eaux.

***

Un point à l’horizon
Un oiseau ou un souffle
Désir du vivant
Jusqu’aux entrailles décomposées de la terre
Qui se nomme homme
    • Qui se dit homme

***

Oui nous nommons les choses, en ce sens nous sommes un condensé de vie et d’informations, dans le continuum du vivant nous sommes une intensité. Cependant nous devons peut-être penser que d’autres intensités nous nomment, nous désignent, font de nos actions un récit. 

***

De l’eau
Émergeant de ma vie
Vol d’oiseau 
Au couchant

***

Pas d’un point
D’un frémissement, d’une vague, d’une éclaboussure
Au loin 
Le reconnaître
L’entendre sur ce rocher
Entre deux eaux qui se joignent
Fécondant les profondeurs
En milliards de pulsions
Jusqu’aux gueules avides des baleines
Là où je ressens cette vibration
Dans l’attente d’une apparition
A contrario de toutes les disparitions
Ma soif de voir émerger une aile, un dos, un souffle

****

Désir d'un signe
Au lieu où je suis
Sur un rocher gris 
Érodé de vent, de glaces, de marée
Et moi vivant à la peau lisse
Émerge ce mot ou cette image
D’un dos arrondi l’eau
D’une aile lumineuse
Déposant cette joie en moi
Pour la dire aux vents, aux eaux, aux glaces
Contre tout espoir de leur disparition
En signes que je pourrais écrire
Tadoussac rassemble en lui les eaux, les pierres, les arbres, les sables, les marées
Et me les offre
Ma respiration se conjugue à lui
Quand j’apparais avec les signes du vivant

***

La pierre où je m’avance entre les deux eaux 
À la rencontre du fleuve et de la rivière
Qui l’a formé
Je m’y assois et j’attends

***

De l’émergence du vivant où je suis
En ce lieu nommé Tadoussac
Avec ces vivants du foisonnement
D’où je ne suis plus
Navire de bois résonnant dans sa nuit
Dans l’attente de ma propre vie
La fécondité des eaux qui s’émerveillent
De la vie jaillissant contre mes pores
De salin gonflé d’embruns secoués
Une caravelle au vent debout
Pour d’autres humains aux visages masqués
Nous étions au coeur de ce battement
À l’horizon avec votre apparition
Qui ne saurait tout détruire de lui



Categories: Baie de Tadoussac, Tadoussac , En cours de publication , Essai , Poésie , Récit , Web