Au refus global nous opposons la responsabilité entière
Plage de l’Anse à la cabane, Millerand, Iles de la Madeleine, Québec
47.219581, 61.993269
Voici le sable
Je marche sur le sable
Était rocher falaises
Se déplace se meut
Dans l’eau
Sous l’eau
Mouvements ensembles
Lignes vertes ondulées
La main s’avance
Au-dessus du sable
Une fuite ordonnée
Vers le rivage ou le large
Tout ce sable autour de moi
L'océan modèle
Les rochers et les glaises tombées
Les lançons et moi en une danse immergée
Mon ombre indécise sur le sable
En obstacle au soleil
Au-dessus des eaux
Qui ont fait ce lieu où les lançons se prêtent à mes jeux de lumière
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Contre-poème
En plongée avec les lançons
Au-dessus du sable
À ma droite les rochers d’éboulis noyés
Je ne trouve pas l’image
Nuage, assemblée, banc, écoulement,
rivière, feuillaison, petite nébuleuse
Pour cette sensation
À l’approche de ma main
Leurs fuites, leurs mouvements coordonnés
Par la pression de l’eau
Argentés verts autour de moi
Encerclement, grappe, gaz, nuée,
Au large des millions
Aux gueules des rorquals
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Je marche sur la plage de l’Anse à la cabane
Et gratte de mes doigts la glaise grise et ocre
Elle descend de la falaise
Et s’amasse en bourrelets à la limite de la plage
Au loin le cap et la côte rouge des iles de la madeleine
Leurs creux et leurs cavernes où gronde parfois l’Océan
J’ai suivi le rond de l’anse
Pour pouvoir de mes mains
Sculpter le visage qui n’apparaît pas encore
J’aime la sensation de froid ductile de la glaise
Je me salis les doigts et les paumes
Pour offrir à la terre les traits de mes souvenirs
***
Projet pour l’été 2023
Dans la glaise de la falaise, sculpter des visages, léchés par la marée haute, emportés par les marées d'hiver et les tempêtes.
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Pour un visage qui regarde la mer et l’écoute
Jouit de voir la rive et la côte
Et disparaît avec elle
Pour un visage qui se souvient de la mer
En ses traits qui s’accordent aux marées
Qui sait que ses os sont faits d’iles
Un visage aux vagues qui montent
Terribles et dures contre la falaise
Tombé dans l’Océan
Quand le soleil ne répond plus à sa voix noyée
***
J’aimerais ici même
Faire un poème de glaise
De ces visages
Dans l’eau la glaise se défait
Les doigts en elle
Elle s’effiloche doucement dans le courant
Sa couleur se mêle à l’eau
J’aimerais que ce visage d’ocre
Me regarde l’écrire
De ses yeux vides avides du livre des poèmes
Varia
Sa couleur se mêle à l’eau et fait une encre
J’aimerais que ce visage d’ocre
Me regarde l’écrire
Avec la couleur même de sa disparition
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La glaise tombe, s’écroule, s’écoule de la rive sur la plage qui s’agrandit de cette érosion et forme une anse plus creuse et plus échancrée. Au haut de la plage, le rivage est de la pierre rouge de l’ile, granuleux, plus résistant que la falaise de glaise. Un ruisseau se jette dans la mer au milieu de la plage depuis longtemps.
Si on grimpe par son échancrure on retrouve les prairies merveilleuses des îles.
Si je plonge de la plage, si mon visage entre dans l’eau, je vois le frétillement des lançons se déplaçant par milliers dans la lumière de l’été filtrée par l’eau de mer.
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Visages des naufrages
Visages de glaise
Visages dessinés avec elle en sa mémoire
Emportés avec l'île
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De tous les côtés friable
Comme nos mots et nos os
Ile qui retourne à l’océan
Qui ajoute à nos manques et nos mirages
Là sur l’eau émergent les dos de baleines
Nous ne sommes pas le souffle qui peut faire renaître chaque ile
Où sont donc nos nerfs de visages nouveaux
Nous emporterons avec nous ces mots qui nous manquent
Pour être de la terre et de l’Océan
Ce lieu se détache de moi
En visages qui veulent me parler
Avec les langages oubliés des rivages féconds
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Trois sœurs vont près de l’échancrure du ruisseau pour descendre à la plage. Le ruisseau plonge dans la glaise qu’il a façonnée et s’écoule vers l’Océan. Là au matin dans l’eau froide, retrouver la mer et sa baie.
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Être de son ile jusqu’aux os, par toute la peau, à l’aurore avec la falaise et le rocher qui s’érode, la glaise grise qui se fond à l’Océan lentement comme l’ile du Havre Aubert.
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Trois visages. Deux burinés de mer, et un buriné de terre.
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De la glaise de l’Anse à la cabane, je pourrais faire des visages approximatifs, très approximatifs, des ébauches qui ne seraient pas leurs visages. Ils seront emportés par les marées, comme tous les visages. Penser avec douleur que l’île pourrait devenir plage et se muer, seule consolation, en un sanctuaire où les espèces en disparition s’assemblent, loin des hommes.
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Le vent n’a aucune méthode
Pour faire face aux corps et aux voiles
Contre la falaise et avec les vagues
Il s’applique avec folie
S’amourache d’écume et de sable
Soudoie la pierre pour qu’elle lui laisse son usure
Affole notre raison
Ne contient que notre air
Enveloppe les iles de notre déraison à demeurer
Accompagne la terre et la mer vers son pèlerinage vers nos visages
Dit tous nos gestes et nos mouvements qui emportent
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J’emporte les lieux avec moi. Ils ne me retiennent pas, ne me détiennent pas. Ils offrent leur obscurité sans détention. Cependant, les chants d’oiseaux vrombissent contre l’acier des avions et font ma respiration. Je n’ai pas encore toutes mes danses et mes subterfuges, mais les lieux me stupéfient par la mémoire de leurs matières. Et je passe en elles, je me dépose en elles.
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Mon visage dans l’eau pour le mouvement des lançons, m’entourer, m’encercler.
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Les lançons me lancent
Et m’enlacent dans l’eau saline
Et sa clarté animale
S’écartent et se rejoignent
S’écoulent dans l’eau coulent
Parmi eux
En leurs ensembles ouverts
Me nommant corps dans l’Océan
Avec eux lançons frétillant je m’élance
Masse claire qui disperse les eaux devant elle
M’enveloppe de ses mouvements
Ne se ferme pas sur moi
Se rapproche de moi en m’englobant
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Silence de l’Océan ou silence de ma mémoire. Celui de l’Océan perturbé par le bruit d’un moteur, au loin. Celui de mes souvenirs peuplés de voix, de bruits et de chants.
Silence à venir et silence de Marcel et François Hébert. De ces trois silences, je trouve une énergie.
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Silence que j’accueille, que j’entends, que j’ausculte, qui m’a été donné.
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L’art n’est que le moyen où l’anonyme que nous appelons artiste, en se maintenant constamment en relation avec une pratique, tente de construire sa vie comme une forme de vie : la vie du peintre, du menuisier, de l’architecte, du contrebassiste, où, comme toute forme de vie, ce qui est en question n’est rien de moins que le bonheur
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