L’inachevé de la joie – 32

Au refus global nous opposons la responsabilité entière
Manifeste du refus global

7 paysages de Robert Morin,  Rencontres internationales du documentaire de Montréal - RIDM en novembre 2022, vu au Cinéma du parc, Montréal, Qu`ébec


Comment l’amour peut-il triompher? L’amour du lieu, l’amour de la rivière, si précieux.

Robert Morin a filmé un  méandre de rivière et ses environs contemplativement, patiemment, en sept cadrages fixes,  pendant trois ans, en toute saison.

Je vois la rivière, la force l’eau, son abondance, ses cycles d’orages et de paix. Je contemple sa beauté et ce qui l’entoure, à quelques pas de la maison de celui qui filme, qu’elle approche de ses eaux.

Eaux gonflées, eaux gelées, eaux des saisons, toujours mobiles. Comme la vie.

Ce n’est pas cependant la métaphore choisie par celui – ou ce – qui filme.

Le temps. Et pourtant, il s’agit bien du lieu et de ses espaces-temps qui est filmé.

La caméra est-elle sujet? Si elle l’est, elle est enfermée, patiente, immobile.

L’image de cette immobilité coule d’une scène à l’autre par la mobilité de l’eau. La rivière, son coude, son méandre, là où elle change de sens, est filmée dans le mouvement de ses changements. Ce sont ces changements qui mobilisent l’image. Ils font que la caméra et le cinéaste se déplacent d’une scène à l’autre.

La bande sonore remarquable de Catherine Van Der Donckt est saturée de bruits, de chants, ceux de la forêt, de la rive, de leurs vivants, et des sons de l’écoulement de la rivière, mais aussi ceux d’autres lieux. 

Son abondance est toujours prégnante, alors la nature est fantasmée pour sa présence sensible si chère à celui qui enregistre le lieu.

Présence sensible, changeante, toujours changeante, si souvent merveilleuse et merveilleusement captée. L’eau fait cela à l’image, elle la mouille, et la fait glisser vers l’autre séquence. Ce glissement est appelé le temps. C’est l’évènement-rivière qui se poursuit, rencontré par les évènements-caméra. 

Le cinéaste, celui qui met en œuvre ces évènements-caméra n’est pas visible, bien qu’il en fasse partie. Son absence désigne la rivière et ses alentours, proche de l’habitat, comme le sujet du film. Le cinéaste est avec le lieu dans le lieu.

D’une certaine façon, c’est un lieu qui se filme, qui s’enregistre, un des vivants de ce lieu qui l’enregistre comme les autres vivants. Chacun des vivants enregistrant le lieu à sa façon. Créant une chaîne d’évènements avec l’évènement-rivière.

Ces vivants, si on les entend dans la bande sonore on ne les voit presque pas.

On ne sait pas pourquoi
On ne peut pas le savoir.

Au printemps, les oiseaux sont si présents et beaucoup nous quittent à l’automne. Leurs piaillements et chants se font plus rares.

Le cinéaste imagine une guerre*, pour montrer la fragilité du lieu et son amour pour ce lieu. La guerre s’opposant à l’amour.

Pourtant, la tragédie n’est-elle pas que les chants des oiseaux et  les bruissements des animaux diminuent, et s’éteindront peut-être un jour alors que le son de la rivière restera le même?

Ultimement, le lieu reprend ses droits, la rivière coule, enchaîne ses cycles d’eau, oublie les humains ( la caméra la quitte à la nuit). Elle gèle, fond, tourne, court, dévale, bouillonne, envahit, frappe à la porte de la maison — se rappelle peut-être. Non loin de la maison, un homme la guette encore. Amoureux.

L’amour peut triompher, un amour du lieu, tenace, inflexible, pétri de contemplation et d’écoute. 

Un lieu habité.

La force du regard, de la force de l’action qu’est le cinéma du passage du temps, c’est-à-dire des transformations de l’espace-temps d’un lieu peut triompher. La force de l’amour du cinéma du cinéaste toujours audacieux peut déposer en nous un autre espace-temps où sont et seront rejoués les chants, les bruissements, où la rivière et ce qu’elle emporte reviendront au centre de nos espoirs et de nos vies.

*Quand apparaissent des hélicoptères et des fantassins, un peuple en fuite, on pourrait se demander si la rivière est celle de Conrad ou de Coppola? Quel monstre se cache donc en ses méandres. Le cinéma? Un certain cinéma-spectacle déjoué par le réalisateur qui veut simplement enregistrer ce qui est, le lieu. La rivière fait partie du lieu habité par le cinéaste, et ce qui pourrait effrayer est son ultime beauté. Le seul et dernier film possible?

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