Au refus global nous opposons la responsabilité entière
De Panzano in Chianti jusqu’à Croce di Monte Domini 43.580647693127474, 11.373157234151874 et retour. Panzano in chianti, Toscane, Italie. 43.54660377523844, 11.313039760951767
L’homme de glaise se décompose en marchant, dans son corps poussent des arbrisseaux et des arbres, fleurissent les images de sa vie et ses symboles. Il reçoit l’eau et la terre qui tombent en mots sur le sol. Cet homme, sur les routes et dans le paysage de la Toscane, à Panzano in Chianti.
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Cette image de l’homme de glaise vient-elle de Penone?. C’est aussi celle de l’homme de Giacometti, modelé dans la glaise, mais figé dans le bronze. Ces deux hommes, je les mets en relation avec l’homme de Léonard de Vinci, un Toscan : Homme immobile, les bras en haut, de face.
Pour les deux sculpteurs homme marchant, penché, les bras le long du corps.
Pour moi, homme de glaise, se défaisant à mesure de sa marche, s’incorporant à la terre, mais recevant d’elle continuellement sa substance, ne portant plus le feu. Il s’imprègne des lieux qui le reçoivent, en images, en sons, en symboles. Il respire, il parle, il marche.
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À demeure, le ciel.
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En Toscane, l’homme de glaise est aussi le terrestre d’une terre aérienne, sèche et friable, ornée de vignobles dans leurs écrins de forêts.
En Toscane le ciel est à la mesure de l’homme qui marche?
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En montant le chemin de terre, dès que je tourne mon visage vers la vallée, à l’horizon le bleuté aérien de De Vinci.
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Contre-poème
Pas d’homme de terre sur ce chemin sec La poussière, les vignes, les arbres Maisons de pierres
L’homme de terre pourrait être moi Je marche et la terre m’imprègne J'en suis vêtu
Du vêtement de terre recouvert L’homme de terre est la terre soulevée Pour passer d’un lieu à l’autre
Il faudrait la pluie pour faire la glaise Les vignes aiment les sols de l’homme de terre Elles lancent leurs racines dans les profondeurs de mon cœur
Je deviendrai poussière L’homme de terre est en moi et marche Non pas vers sa fin, mais jusqu’aux racines le transperçant
Il devient de vin ou simplement Tache dans le paysage Le regard noyé dans l’horizon des monts
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Les vignobles aux maisons de pierres dispersés dans la montagne sont clôturés. Contre les animaux, les hommes?
Les clôtures n’altèrent pas la sensation de ce paysage, de ce lieu : une immixtion de l’homme dans la nature, une nature transformée par l’homme, en équilibre avec elle. Liaison intime et profonde de la culture et de la nature.
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Imaginer non pas des maisons rectangulaires, mais en rondeurs, des maisons rondes, façonnées par les tourbillons du lieu.
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Dans l’air chaud et sec de Toscane, l’homme de glaise aux pieds de boue avance. À la mesure de sa marche, son corps devient plus perméable à l’air, aux odeurs de romarin, aux couleurs des champs et des forêts au haut des montagnes soulignées par les maisons de pierres aux toits rouges. La pierre est dans le sol et hors du sol.
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Contre-poème
Je cherche la composition du sol du Chianti Classico, pour le Sangiovese. Sur cette terre, dont je me fais l’apôtre, je ne me suis pas penché, je n’ai pas ouvert la main pour prendre une poignée du sol, pour en ressentir le poids et le grain. Autour de moi, des oliviers et des cyprès, que j’avais presque oubliés, qui n'étaient pas présents dans les images premières de ma mémoire.
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Il n’y a plus de vent, je crois, la joie d’être en ce lieu, inoubliable, donne au corps une légèreté qui reste, qui peut être retrouvée. Lieu qui invente des ailes aux terretres.
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Où je me dépose, contre le ciel, la terre d’odeurs, sèche et légère, en mes mains, la poussière, le grain, doucement, devient l’air d’un monde devenu poreux.
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Poreux, le poème atmosphérique de l’homme de terre friable, aux pieds d’argile. Montant lentement au cœur du paysage millénaire de vignes et de romarins, entre les verticales des cyprès. La bouche, les mains maux vents chaud lentement dispersées. S’ajoutent à son corps les strates du paysage, les étagements des vallons, les plaines, le bleuté lointain comme en une peinture. Dans l’huile, le geste de peindre disparaît, et le terrestre goûte une à une les délicatesses des nuances de verts et de bleus.
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La neige émousse les angles des maisons de pierres, dispersées dans les valons de la Toscane, issues d’elle, soudées à elle, ponctuant les vignobles, maison construite avec le lieu et le lieu fait des demeures, où les fenêtres s’ouvrent d’elles-mêmes dans la matière de la lumière émanant des arbres, des saules, des cyprès, des vignes, des oliviers. Au loin, l’auréole de douceur étourdit et calme notre regard sur ce lieu qui se propage en chacun de nous.
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Comme certains paysans d’Espagne arrivent à ressembler aux oliviers de leurs terres, ainsi les visages de Giotto, dépouillés des ombres dérisoires où l’âme se manifeste, finissent par rejoindre la Toscane elle-même dans la seule leçon dont elle est prodigue : un exercice de la passion au détriment de l’émotion, un mélange d’ascèse et de jouissance, une résonance commune à la terre et à l’homme, par quoi l’homme comme la terre, se définit à mi-chemin entre la misère et l’amour.
Albert Camus
Lumière juste érigée En chemins, en collines, En cyprès... choses lointaines Ou proches que jamais Nous avons révélées, Faute de mots exacts
Et d’un cœur transparent.
Fancois Cheng
Il suffit de dégager d’hier, les nécessités d’aujourd’hui.
Paysage Toscan façonné d’hier et aujourd’hui de cette immixtion de l’homme (occidental) et de ce qu’il appelle nature. Immiscé dans la nature, comme si c’était elle qui le peignait.
Générations d’humains incorporés à leur terre, leurs maisons issues des champs, des collines, du sol recélant les pierres.
*** La neige qui tombe derrière ma fenêtre unit les maisons à la rue, aux arbres et au ciel.
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L’homme de glaise se déforme à mesure de sa marche, il reçoit en son corps les attributs des lieux, les phrases et les vents, les odeurs et la chaleur, les bruits, les chants, les signes.
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Buissons de romarin, en prendre une branche, la humer, la mettre dans ma poche. Abondance d’une végétation de cactus, de cyprès, d’oliviers. Dans un petit hameau de montagne, un tournant à 90 degrés, vers la forêt. Une forêt non pas clairsemée, mais aérée où les lierres montent aux arbres.
De tout ce trajet, à partir de Panzone, très peu d’humains, quelques voitures passent, la pétarade d’un moto-cross quand la route de terre devient chemin montagnard.
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Au vent, où le paysage nous a enlacés, nous entrons dans la forêt.
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S’arrêter pour que la glaise devienne arbre Sentir monter sur soi le lierre Délicatement il prend la forme du tronc Et laisse son empreinte sur ma respiration
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J’imagine des maisons en tourbillons, issues du paysage, les fleurs montent et enlacent leurs murs courbes.
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Entrant dans cette forêt, je ne peux que penser à Dante. Pas de panthère à l’horizon des bois. Une pétarade de moto-cross conduite par un petit Satan rouge, enfer éphémère et local.
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Faut-il vraiment passer par là, au creux de la montagne dans le conduit où le monde s’inverse, sous le regard insistant de la panthère, pour atteindre la félicité dans un bois où peut-être Dante s’est promené?
Père de la langue italienne, il est avec Pétrarque et Bocace l’un trois couronnes qui imposèrent le Toscan comme langue littéraire.
La Tosacane, ses vallons, sa douceur, ses verts et ses bleutés, la sécheresse de son air, la limpidité de ses syllabes, sa beauté.
La langue italienne dans les calle de Venise ou dans les vallons de Toscane.
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Sur mon ordinateur Sur mon téléphone Sur mon écran La même heure 6 h 47 Me dit que le temps existe Est-ce vrai?
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Les gestes des humains de plus en plus associés aux technologies qu’ils inventent, gestes de plus en plus supportés par elles. Comment retrouver pour cet homme de terre les gestes essentiels et simples, comme amorcer un feu de ses mains — boire de l’eau dans ses mains.
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J’imagine Dante se promenant sur le chemin avec Pétrarque. Comment redéfinir le transhumanar de Dante en proposant un dépassement de l’homme avec la Terre, avec ce qu’il appelle la nature.
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Un homme de terre ou de glaise contaminé des semences de la terre, modelé par les lieux et les paysages, recevant sur lui et en lui les fleurs, les arbres, les vivants et les laissant croître. Devenant hybride de terre, d’air et d’eau, laissant en lui émerger un autre rapport au monde afin de le définir autrement, transhumain du vivant en lui et par lui, florissant, intègre.
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Après la forêt L’homme de terre poreux Sous le soleil de la Toscane Léger comme une branche morte Aérien sans avoir suivi Virgile Chemin couché contre le ciel
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Traversé de ses lieux
Il emporte avec lui les éléments et les signes Passages entre les frontières Visibles ou invisibles Rivages dessinés en lui Lumière crue et subtile nudité des fleurs Courants de couleurs Le long des routes d’herbes Au léger glissement de l’eau sur la peau Remontant vers les autres lieux de son corps Entouré des écailles de poisson Ou de la nuit fluorescente d’une rue
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Au-delà de la catastrophe Le corps reçoit dans sa glaise Les passages et le signe de ses passages Les mots et les paroles qui habitent
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Transhumain traversé de rumeurs et de lumières Mains ouvertes sur les paroles et les gestes Donnés sans contrepartie Des glaces et des boues, des feuilles et du carbone Entre les tremblements et la disparition Offrande des lieux aux lieux Une autre marche, une autre respiration Qui s’achève et ne s’achève
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Terrestre et solaire Terrestre, solaire et lunaire Terrestre, aérien, solaire et lunaire Terrestre, étoilé, solaire, lunaire et aérien
*** Ce qui paraît absurde c’est l’explosion continuelle de vie, son abondance, son exubérance, qui nous mettons en balance avec notre mort, notre fin, d’où notre désir de juguler la vie, de la restreindre, de ne plus voir son inexorable force qui nous anéantit ( de ses mystères).
*** Au sommet de la montagne Une construction À demi détruite Comme dans une tapisserie de Rome
Au bout de l’escalier ébréché Le plancher du belvédère de pierre Retient l’ancienne croix Celle que portent les migrants
Loin de la douceur Toscane Sur les plages aux galets Épuisés de la traversée
De tous les côtés imaginées Jusqu’à leur frange bleutée Les vallées de Toscane
Quand l’accord se rompt Entre les lieux et les corps Détachés de leur terre ils partent
Océan Horizon de mort Horizon d’espoir Vagues hautes tombantes
Au détour du chemin Un belvédère de pierre Y pour monter pour la beauté
Le soleil sur la peau Le souffle apaisé pour quelques instants Voir l’Océan parcouru
D’autres vagues de vent et de bleu D’autres afflux d’humains Sur la terre d’Italie retrouvée
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Trasumanar significar per verba non si poria; però l’essemplo basti a cui esperienza grazia serba
trad.: Qui pourrait exprimer, par des paroles, cette faculté de transhumaner ! Que cet exemple encourage celui à qui la grâce permettra de connaître, par l’expérience, une si haute félicité
Chant 1, Paradis, Dante
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Après la montée, le retour, rapide ou lent, léger, aérien, le corps au sommet descend doucement vers le bruit et l’agitation.
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Au contraire des suffocations L’espoir du retour
Au-delà des navires et des routes Revoir ce qui a été perdu Les lieux de l’enfance Aux creux de chaque corps
Aussi aérien que ce que Dante appelle âme Les corps légers descendants Entre les odeurs de romarin Entre les oliviers et les cactus Entre les vignes et les maisons de pierres Au loin, le bleuté de l’horizon comme un salut
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Qui donc a inventé mon âme?
Il y a un certain retour de l’âme. Quand la pensée et les désirs ne correspondent pas aux corps.
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La transmigration d’un lieu à l’autre, à l’instant de la mémoire, un autre corps avec le corps écrivant ou marchant, les lieux de la mémoire assemblés.
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Descendant dans l’air sec Le long des cactus Des romarins et des bruyères Assoiffé de bleu et de verts Habitant de chaque pierre Au cœur d’eau
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Doit-on dire : Harmonie de la nature et de l’homme, immixtion des champs, devenus seconde nature ( où la notion de nature échoue) des vignobles enserrés par la montagne jusqu’aux forêts des sommets.
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Beaucoup de produits chimiques employés dans les vignes?
Étagement des vignes comme étagement des rizières en Chine. Culture paysanne qui a trouvé un point d’équilibre. La vigne, l’olivier, le romarin proviennent bien de cette nature transformée. Tournée, détournée, en ces lieux.
Je descends doucement vers le village.
Doucement le retour modèle le paysage, le lieu atteint une solidité, une ossature légère dans la mémoire et les pas. Le paysage marche avec nous au lieu de nos respirations et de nos gestes. Le lieu acquiert une autre dimension puisque nous sommes tournés non plus vers la montée de la montagne, mais vers les vallées qui nous offrent leurs splendeurs.
Monte Domini, Greve in Chianti, Firenze, Toscane, Italie