L’inachevé de la joie – 15

Au refus global nous opposons la responsabilité entière
Manifeste du refus global

Lac spectacles, Wentworth- décharge
45,80904, -74,52415
Séquence 15

Au fil de l’eau
Avec toutes les mémoires
Qui allongent leur miroir jusqu’au ciel
Les enfants des nuages sur la lumière
Où le canot de ma main rencontre
Le huard dans la transparence
Il réapparait où je ne suis pas
Son oeil métallique et son aile auront la mort du poisson

Fermer les yeux aspirer le bleu
Là-bas où je vais la berge est indistincte
Dans le canot chacun de mes mouvements se répercute à l’eau
En résonnance jusqu’aux pierres des rivages
L’accord difficile entre moi et l’air

À la décharge du lac 
L’eau est plus mince
Les roches affleurent
Un héron s’envole
Toujours me déjoue

Bottes dans la boue
Où le héron pêchait
Reposer la rame 
Dans la forêt aux odeurs de pins
Marcher vers la chute

***


Les harmoniques de  l’eau
Du lac à l’Océan
De sa décharge au salin

Mes pas accompagnent
Le récit de l’eau vers les plages
Où se perdait mon regard

Le bouleversement des chutes ne cesse
Entre les masses de pierre
Entrailles où l’écoulement gronde au coeur

Où implose le miroir du regard
Descendre avec l’eau
Sans être à la mesure de sa force

Après le tumulte l’étang le ruisseau
Un ruissellement de truite
Le son de gorge des corbeaux

***

Toujours à l'envers le départ du canot
En équilibre sur l’eau

Selon le vent la pointe du canot
Par le mouvement de la pagaie

L’eau oscille et donne le passage
Le canot paroi qui tremble

Fend le ciel aux rares nuages

***


Au fil de l’eau
Le canot flottant
Le mot flotte
Contre les nuages
Perd tout son sens
Se métamorphose
Et devient vole

***

Le canot glisse dans le ciel qui n’imagine pas le poisson
Qui fait bulles et cercles

Le mouvement en J de mon poignet
Mes doigts touchent à l’eau froide

Si c’est en juillet au lever du soleil
La brume ouverte avec l’eau

J’ai à la main le miroir des doubles ciels
Et mon double va dans la même direction que moi



***

Chants d’oiseaux
Au fil de l’eau
Le canot à l’aurore de brume
Glissent en moi les ciels évanouis
Des tremblements de ma mémoire

***




Au matin 
Du mouvement des bras
Sur les ciels
Parcourus avec les chants
Qui connaissent de la brume le blanc
Enveloppant une silhouette disparue

***

Coule sur la mémoire le canot
Eau stagnante, eau lente, eau limpide
Trace un éventail

À la pointe de son creux effilée 
Il invente son rêve de s’élever dans les airs
Au diable épuisé de son mouvement
La douceur du passage suggère un paradis oublié

Juste avant le soleil qui aveugle
Le paysage de brume disparait au Vauvert avec moi 
Dans l’écoulement des arbres, des pierres et des arbustes

***

Le paysage avec moi
Sur le ciel d’eau
Où la brume attache les nuages aux bleus
Avant que le soleil ne se lève
Qui rend mon passage léger entre les rives

***

Canot

Double léger ravit de l’eau le ciel
Il passera entre les nuages
Pour rejoindre les mirages de pierre
Qui disent une autre fois la terre
Posée contre le lisse qui glisse sur mon dos
Un peu ivre des chants d’oiseaux
Je me relève pour parcourir le sentier
Bruissant de la décharge du lac

***

Le ciel dans son encre d’eau
Aussi léger qu’un reflet de pierre
Jusqu’à la rive où je deviens avec la terre
Le marcheur au fil de l’eau versée en tourbillons
Éblouissante au soleil qui s’est levé entre les fissures 
Creuset d'Océan


***

Avant la décharge
Une eau limpide
Où parfois le héron s’envole
Au-dessus du fracas entre les pierres 
D’abord rondes puis aux angles aigus
À mesure que le courant accélère
Mes pas voient le bris des eaux
En tourbillons et en gouttes
En bas d‘une petite falaise
Que le sentier accompagne
Entre mes mains
La fraîcheur sur mon visage


***


Je ne peux pas dire au coeur du temps
Je ne peux pas dire au coeur de l’espace

Je ne peux pas dire je suis au coeur de l'eau
Je suis avec l’eau
Vers la décharge
Je suis avec le huard qui plonge
Je glisse jusqu’à l’émerveillement de son apparition 

On dit que l’eau qui coule est la métaphore du temps
C'est l’eau en mouvement

On dit la décharge : d’un lieu à l’autre 
Eau emportée sur le dos de la pierre
J’avance entre les arbres vivants
Attiré par le bruit de l’eau
Joie des printemps des cascades
Eau contre bois morts et roc

On dit: depuis des centaines d’années
Pierre ouverte par l’eau
Jusque dans l’étang aux arbres debout morts

On dit : dans sa chute
Le grondement vibre dans le torse
Les éclaboussures au visage
L’eau bouillonnant
En tournant happe le regard 
Elle s’enchevêtre aux troncs
Se façonne en spirales


On dit : la force de la décharge
Cette eau de lac frappe, contourne et enrobe les pierres
Prend de la vitesse et creuse
Une falaise et une coulée
Se mêle dans les remous aux arbres
Heurtant le regard d’une harmonie
Entre l’homme et la  forêt
Dans  la chute des corps


On dit : l’homme mais ce n’est que de l‘eau qui parle
La respiration aime la fraicheur de l’eau
Les cellules veulent la poursuite du mouvement

Dire qu’il n’y a pas que de l’eau et de la pierre
Entendre l’eau contre les roches
Le long de la falaise où s’accrochent des cèdres
Coïncidence des sons et de la vélocité des eaux
Contre l’immobilité de la pierre

On dit que c’est le temps
Mais c’est l’écoulement en ce lieu
Où la pierre est dévoilée
Et dévoilée elle est rongée

Dans l'espace de la chute
Je descends au plus près des éruptions sonores
La beauté fait arrêt
Et la profondeur du grondement la pensée

Oui dans cette pierre
Oui dans ces arbres
Oui jusqu’en bas
Oui, cette joie de l’eau
Sans fin, il me semble

***


Il n’y a pas d’humains ici
Que des arbres morts, droits ou tombés
Dans la chute ou dans l’étang
Contre la pierre ou dans la boue

Lentement après la cascade, l’eau dans l’étang au pied des arbres blancs
Contre les effervescences de l’eau les arbres bruns
Dans les arbres debout dans l’eau les oiseaux
Au coeur du déferlement le pépiement des mésanges

Gouttes d’eau sur la pierre
Pas du seul humain
Descendant, entendant
Où les animaux disparaissent

Bois de débâcles ou arbres debout blancs
Arbres vert tendre ou arbustes le long du chemin
Imbibés d’eau ou secs
Verticales, horizontales, obliques, courbes
Quand l’eau coule et gronde entre les pas

Férocité de l’eau dans la chute
Offrande de bois
Tout le long de sa course
Jusqu’à l’étang
Où le chant

Troncs et branches sur le lac
Tombant avec l’eau
Branches dans la bouche du castor
Sur la maison enneigée

L’eau n’a pas d’image fixe à clamer
Elle tremble avec le chemin
Elle est agitée de pas
Elle détruit en se dissociant
Elle attend le regard et le révoque
Elle sourd ou bruit
Elle me fait
Limpide ou immobile
Agile et contemplant



***


Ainsi chaque lieu peut devenir un lieu d’écriture
En autant qu’il est imprimé dans la mémoire
Chaque branche, chaque arbre, chaque promontoire*
Chaque espace terrestre peut devenir un lieu d’écriture



*L’Acropole des draveurs est l’emblème même du promontoire

***

Homme couché dans les vapeurs de l’étang
Homme debout contre le déferlement de la cascade

Dans la cascade bassin d'eau lente pour déposer le corps
Au bord de l’étang, écouter le geai bleu

Se frayer un chemin au bord du ruisseau pour voir toute l’étendue de l’eau
Se coucher dans l’eau claire imaginer des écrevisses

Revenir en arrière

On dit : on dit en arrière pour le passé
S’imaginer de brume pour se coucher sur l’étang et être de tous ses mouvements

S’accroupir au ruisseau pour voir les écrevisses
Dans la main ne s’agite plus que de l’eau

Son tumulte imagine la vie
Dans l’étang le foisonnement lent aux odeurs de pourrissement

La ligne claire qui sépare nos passés de vivants
La fuite argentée des écrevisses hors de nos paumes

Le long du ruisseau lentement attendre l’orée des vivants
Du ruisseau des débâcles et des troncs morts

Jusqu’aux bois fantômes où le pic
Où le héron, le corbeau, le geai
Ne veulent rien de nous 

Debout tels des arbres morts
Attendant que la vie s’accroche à foison en nous
Et retrouve sa limpidité

***

Le poème devrait être un torrent qui gruge
Mais ce torrent qui gruge la pierre
Est en un lieu où le petit ruisseau en un torrent gruge la pierre

***

Le ruisseau et sa chute
Pierre enlevée, grugée
Fissure ouverte par les ans
Tant d’années
Vieille chose
Constance de l’eau sur les pierres
En hiver l’eau des montagnes descend vers les lacs
Ne se fige
Vers tous les autres lieux de la terre
Là où la terre finit l’eau
En sa chute contre la pierre
En forme de tourbillons 
Le vide de l’usure
Par son mouvement comblé

****

Les lieux de l’eau
Dans la fissure de la terre
Contre la pierre enlevée
Jusqu’à l’océan *

L’eau habite la terre
Jusqu’à L’Océan
Jusqu’aux cavernes
Contre la lave
Nous n’existons qu’avec elle

Quand je transcris cela je pense à St-Siméon, là où le paysage s’ouvre vers le fleuve

***

Métaphores du petit ruisseau
Surement pas un train une automobile
Une image légère qui se tortille et se distille

Le bruit qui l’annonce
Non pas une machine
Peut-être un vent liquide
Des chevaux, une fuite
Se précipitants en leurs chutes des hommoncules
De pêtites choses sans visages les atomes
Qui s’agitent dans tous les sens

La fluidité de l’eau non pas comme une huile 

Lieu d’une fissure, d'une échancrure
Grave la pierre d’un vide
Qu ajoute au mouvement de l’eau

***

Je suis comme la chute
Un évènement de l’eau

***

Ce qui échappe à l’eau : la pierre
L’eau lave rapide entre les pierres
Les anéantit doucement

L’action de l’eau sur la pierre : pour la terre
Sous mes pieds sol d’humus
D’où jaillissent avec l’eau les plantes
Monte avec cette énergie inaccessible à nos corps

Nous élève l’eau par sa chute
Nous: torrents contre nos pierres
En figure de paroles
Tourbillonnant, coulant, 
Chacun creusant ses fissures

Torrent qui ne cesse que pour le calme miroir de ses quiétudes
Eau parlante de décharges et des lacs
Jusqu’aux Océans de mes rivages


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