L’inachevé de la joie – 25

Au refus global nous opposons la responsabilité entière
Manifeste du refus global

Bureau des Herbes rouges, rue Ontario, Montréal, Québec
45.519260963818695, -73.56327259554946

2022-05-28


Le poète peut produire n’importe quelle forme, s’immiscer dans tous les objets et les vivants, et les dire. Je suis le lançon dans sa horde, qui bouge au moindre courant, je suis la vague jusqu’au sable, qui tire vers elle la falaise, je suis l’univers qui explose en milliers de fragments, on dit que ce sont des atomes. Il peut dire que c’est encore lui, cet anonyme processus qui a dilapidé son nom.

En ce sens, le poète est un animiste d’un genre particulier. C’est le langage qui est la matière de cette âme qui lui permet d’animer et de prendre la place de la roche, du poisson, de la louve ou du lion.


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Le son est une onde qui se propage dans l’air. On dit donc qu’il n’y a pas de son dans ce que l’on nomme l’espace : hors de notre écosystème. Pas d’oreille non plus. Un silence qui ne peut-être entendu, parce qu’il est impossible que le corps humain soit exposé è l’espace que l’on nomme aussi vide sidéral ( le plein serait alors notre planète - où nous devrions vivre dans sa plénitude).

Un espace ou vide (appelé aussi le vide sidéral) parcouru d’ondes dont une partie est bloquée par le champ magnétique terrestre. Ainsi le fer qui résulte de la fusion atomique constante des étoiles est-il un des éléments essentiels à la vie, telle que nous la connaissons. Dans cette vie, l’air et les sons, la respiration de l’oxygène. 

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Leg du silence de Marcel et François Hébert, dans une pièce de verre, où leurs visages, me parlant, moi qui les crois fiction, font basculer ma vie dans leur visible.

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Ainsi je me suis mis à courir de tout mon cœur sur la rue Ontario. C’était le début d’un récit que je voulais sans fin. Aux vitres poussiéreuses, la lumière jaunie, pour leurs visages. Les deux fumant, assis, penchés sur les mêmes mots que moi.


Sur la rue Onario, leur rue, la porte rouge, l’ouvrir. Entrer dans leur transparence amie.

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Une partie de leur histoire se donne avec mon histoire. Le long du trottoir et de la rue Ontario, enclave du pauvre, corridor de bonheur pour moi, sa légèreté, sa crasse, au seuil de la décrépitude, dans ce quartier que l’on nomme le Centre-Sud.

La rue Ontario est une rue nécessaire, une voie du passage, elle permet de se dissimuler et de vivre, à souffle court peut-être, mais de vivre entre la Catherine et Sherbrooke.

Par elle j’entre dans la vie des Herbes rouges

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S’offrir en sacrifice, se sacrifier pour les autres, telle serait le travail de l’écrivain. Il n’écrit pas avec plaisir, mais dans la douleur. Dans cette expérience douloureuse, l’ultime sacrifice serait celui de sa vie pour les autres?


Voilà un parcours christique, sacerdotal, d’où la joie est exclue. Pourquoi un individu , un corps poursuivrait-il une expérience qui ne lui donne aucun plaisir, aucune joie?


Pour moi, l’écriture est exaltation, joie, jubilation. Joie de la création, joie de la découverte, joie de l’expression. Pour moi l’écriture peut-être fluide et sans contrainte. Personne n’a jamais obligé quelqu’un à écrire, surtout pas pour les autres.

Je ne crois pas que l’écrivain écrive pour un lecteur, ni même pour des lecteurs, on pourrait donner des exemples. Donner à l’écriture un but social est périlleux et risque d’indiquer une mauvaise piste. Là est peut-être le scandale - l’on veut toujours ramener l’écrivain et en particulier le romancier à un démonstrateur et un démonteur. Pour moi tout artiste déploie avant tout un imaginaire et pour ce qui est de l’écrivain un imaginaire de la langue. C'est l'entrée en scène de cet imaginaire de la langue qui est une action sur le réel.

On a là deux processus anonymes, deux absences qui ne se parlent pas directement. Il est de même aussi pour d’autres formes d’art.

Parce qu’il est écrivain, un individu, se donnerait la mort ou se serait donné la mort en fonction de sa relation à l’écriture. J’estime pour ma part que l’écriture et l’art ne guérissent pas, que ce ne sont pas des thérapies, mais je ne peux savoir les motivations intimes de ceux qui se donnent la mort.

On a souvent dit que l’écrivain écrivait face à sa mort.

Pour l’artiste, comme pour tout humain, le choix de son rapport à sa propre mort est crucial. En même temps, il impose à l’artiste un plus grand détachement, une ascèse face à la vie.

Ce retrait existe réellement, mais c’est avant tout en rapport au social, non pas à ce que l’on appelle l’univers.

Beaucoup de commentateurs de la littérature font transiter l’écriture par le social. La littérature dirait une vérité sur le social que d’autres formes de savoir ne sauraient dire. Le roman serait une forme de sociologie supérieure en dévoilant les détails intimes de la vie. Je crois que l’artiste ne crée pas à partir d’une position sociale, mais par rapport à un positionnement face à l’univers entier, une responsabilité entière face à l’univers.

Cette responsabilité entière est celle de tous, mais l’artiste l’assume par le moyen de son art et l’art permet de l’atteindre.

Pour ce qui est du sacrifice pour les autres, l’infirmière, l’ambulancier, le docteur en font beaucoup plus que l’écrivain.

Au contraire, le rapport voulu à la totalité de l’univers, et la jouissance de l’écriture en font le scandale. Dans cette perspective la littérature est un don, qui appelle de la part du lecteur un contre-don, le tout échappe à la logique marchande.

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Avec les frères Hébert, sur la rue Ontario, dans ce cubicule de silence, pour ma première publication, je suis au cœur de cette joie.

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Le sable pour faire la vitre et

la transparence à la lumière

Les corps qui se regardent

Et voient le paysage


Tout le sable pour mon corps à la lumière

Les plages détruites

Les vagues qui brisent



Tout le sable qui ne compte plus les marées

Tous les fruits de l’Océan pour les cités

Tous mes pas qui veulent les couchers de soleil

Tout ce qui tremble en nous

Au haut des tours ou dans nos maisons 

Nos spoliations à l’abri de la pluie et des vents


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Un espace de verre est le contraire de ce qu’étaient les Herbes rouges. Un lieu pauvre et les deux fumeurs.

L’image d’un rectangle de verre voudrait refléter ma joie, mon désir d’être publié aux Herbes rouges.

Être publié aux Herbes rouges c’était vraiment être mis en lumière, être projeté sur la place publique. Au prix de leur définition très large de la poésie, avec leur souci de rigueur et d’excellence.

Je pénètre dans un espace de lumière dissocié du bureau des Herbes rouges.

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Le silence du verre vient du sable, de l’Océan. La lumière qui entre dans nos maisons est issue des mouvements de l’Océan.

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Dans la lumière

De l’Océan



Deux hommes

Dans un bureau



Pour le poème

D’un homme

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Marcel. Sur un paquet de cigarettes, ses notes pour mes poèmes. Voici une vitre sale, assis entre deux hommes, deux maîtres des mots. Savoir leurs silences. Écouter leurs mots.


Pupitre beige, assez large, en face d’un mur terne. Grande vitre à ma droite. À ma gauche, une porte et un mur vitré. De là on voit le bureau de Gaston Miron.


On appelle cela le temps, ce temps passé. C’est un évènement. Je monte les quelques marches. J’ouvre la porte rouge de l’édifice de briques rouges, rue Ontario. Je corrige avec les frères Hébert mon premier livre publié.


Nous sommes dans les locaux des éditions de l’Hexagone, sur la rue Ontario, où Gaston Miron a son bureau .La rue Ontario, entre St-Catherine et Sherbrooke. À ce niveau St-Catherine rue de petits commerces et sur la rue Sherbrooke, petite bourgeoisie canadienne-française.


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Le sol? Quel sol? Le sol où tu poses les pieds ne chavire pas à tout instant. Quand tu ouvres la porte, ce n’est pas que de l’air. La lumière entre aussi par les poussières, par la respiration. La fluidité des gestes, des mots importe tout autant que nos visages penchés sur tes mots. Tu ne sauras jamais tout de nous. 

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Faire parler les morts! Mais s’assurer qu’il ne disent pas faux. Ils peuvent s’ils veulent, égratigner la réalité. L’important c’est le désir. Dans la langue le désir passe. En chaque silence, ou sans lui. Le flottement au loin, dans les pas des passants. Des mains, nos mains saisissent nos cigarettes. Voici ce que tu devrais noter. Ce qui empêche. Tous les silences t’appartiennent. Nos mots passeront, te donnant le passage. Les rives n’ont pas que des coques.


Les rives tremblent de chaque voix

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Dans mon lit, éveillé, je pense à François Hébert, son visage, son amitié, sa force discrète.


A ma table de travail, l’aurore et la vie, issue de l’énergie titanesque des soleils. Cette vie en mon corps. Ce corps comme une enveloppe qui s’ouvre et se retourne, explosant tous ces sons, ces images, ces mots qui affluent vers les arbres, les oiseaux, les vivants. Chant au matin du merle, le premier chant.

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L’acceptation du lieu ( des lieux) mène à la responsabilité totale.

Comme être humain, on ne peut connaitre toutes les dimensions, les accidents, les évènements d’un lieu.

Seul le lieu lui-même les reçoit en entier, et d’une certaine façon les enregistre, c’est ce qui nous apprend l’écologie, cette transformation continuelle.

Dans la ville, l’environnement normalisé des humains, le lieu est déserté de cette capacité d’enregistrement. Les humains enregistrent pour eux et avec leurs moyens les évènements du lieu. Des appareils électroniques peuvent enregistrer certains évènements du lieu, de façon partielle. Certains de ces enregistrements sont des données.

Dans les aps des téléphones cellulaires, les parcours des individus dans des lieux deviennent des données marchandisables, récoltables, revendables. Les lieux et les personnes sont transformés en données logées dans les centres de données, virtuels ou non. Le lieu disparaît dans ces données. Il est effacé.

Ajout : Dans l’espace-(temps) l’univers a une capacité d’enregistrement des évènements par l’enregistrement par le vivant et les traces du vivant dans chaque lieu. 

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De cette transformation continuelle, il faut que j’accepte l’inachevé. De cette joie, il faut que j’accepte la responsabilité totale, de son inachèvement, de sa transformation à ce que je ne serais pas.

Je ne peux ajouter d’autres mots à ma rencontre avec Marcel et François Hébert, en ce lieu, sur Ontario.
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